1ers voyages vers la capitale mondiale des images
Quand j’étais enfant, mes parents et moi allions à Epinal tous les deux mois environ. C’était la ville d’importance la plus proche dans notre région. Là-bas, on pouvait acheter tout ce qu’on ne trouvait pas à la maison.
Je me vois encore assis à l’arrière de notre Citroën, regardant par la vitre pour avoir un premier aperçu du “Chat Botté”, de “Cadet Roussel” et de “Pierrette”, trois étranges personnages en bois peint et sculpté signalant l’entrée de la ville.
A cette époque, je ne savais pas qu’Épinal était la capitale mondiale des images, des gravures colorées réalisées à partir de tablettes de bois ou de lithographies. C’est plus tard que j’appris que c’était le cas depuis plus de 200 ans. Les étranges personnages à chaque entrée de la ville n’étaient que trois des centaines d’autres imprimés à L’Imagerie, une grande usine située près de la rivière.
Histoire de l’Imagerie d’Epinal
Son fondateur, Jean-Charles Pellerin, fabriquait des cadrans émaillés avec des motifs religieux vers 1796 mais les affaires marchaient mal. Il eut l’idée de remplacer l’émail par du papier imprimé, coloré au pochoir.
Les motifs étaient dessinés sur un bloc de bois et tout ce qui les entourait était découpé. Le bloc était alors prêt à être encré en noir et imprimé sur une feuille de papier (voir ici les techniques de la gravure en relief pour plus de détails). Pour colorer entre les lignes noires, des pochoirs étaient faits en métal avec une machine appelée “pédalette”. Elle ressemblait à une machine à coudre, à la différence que l’aiguille était remplacée par une scie. Il y avait un pochoir par couleur et la couleur utilisée était de l’aquarelle posée sur le papier avec un gros pinceau rond.
Plus tard, en plus des blocs de bois, L’Imagerie commença à utiliser des stéréotypes en plomb, les blocs étant plus solides; ou la lithographie car davantage de détails étaient autorisés. Mais la technique utilisée pour fabriquer des pochoirs resta la même.
Cette technique était aussi celle utilisée par le père de Jean-Charles qui fabriquait des cartes à jouer et des papiers peints (appelés “dominos” à cette époque). Il y avait beaucoup d’artisans qui faisaient la même chose dans cette région de France couverte d’arbres. Jean-Charles transforma la technique pour son usage.
En plus de fabriquer ces nouveaux cadrans d’horloge, il commença aussi rapidement à imprimer des histoires laïques liées aux événements de cette époque, principalement la Révolution française. Chaque feuille de papier était ensuite vendue à la campagne comme une sorte de journal par des vendeurs itinérants appelés “chamagnons”. La plupart d’entre eux venaient d’un petit village proche d’Epinal appelé Chamagne, le même village où est né le peintre Claude Gelée. Ils vendaient également d’autres feuilles de papier à motifs religieux, également fabriquées à L’Imagerie, destinées à protéger les maisons ou leurs habitants contre différents maux.
L’Imagerie ne devint cependant vraiment célèbre qu’en 1810 lorsque Jean-Charles demanda à François Georgin, un graveur de renom à cette époque, de faire des gravures sur bois sur Napoléon 1er. Il en réalisa plus de 60 illustrant les principaux événements du 1er Empire. Elles étaient imprimées sur du papier d’Arches, Arches étant un village près d’Epinal où se trouvait une papéterie toujours en activité aujourd’hui.
En 1880, L’Imagerie commença aussi à imprimer des tracts pour les entreprises et les partis politiques; des ABC et autres matériels pédagogiques; des devinettes, des chansons illustrées, des découpages de papier, des plaques de soldats …
“Le Chat Botté”, “Cadet Roussel” et “Pierrette” datent cette époque. Le premier était une illustration d’une histoire populaire de Charles Perrault; le second la représentation du héros d’une chanson traditionnelle; le troisième une fille célèbre avec une bouteille de lait.
Entre 1870 et 1914, L’Imagerie vendait plus de 10 millions de photos par an dans le monde entier et dans de nombreuses langues; certaines étaient même destinées à la Humorist Publishing Company de Kansas City.
L’Imagerie aujourd’hui
La 1ère guerre mondiale et l’arrivée des médias modernes mirent fin à l’expansion de l’entreprise. En 1984, elle était en vente après 70 ans de déclin.
Ses acheteurs eurent en vue de préserver ce patrimoine. Ils décidèrent d’imprimer des images modernes en paralléle avec certaines des plus anciennes. Ils ouvrirent aussi un musée dans lequel on peut voir des ouvrier.e.s travailler avec ces gravures sur bois, les neuves comme les anciennes.
Avec plus de 200 000 visiteurs par an et de nouveaux clients tels que Michelin, Renault, le Club Mediterranée … qui commandent des images pour illustrer leur marque, L’Imagerie a ainsi commencé une nouvelle carrière.
Certains collectionneurs dépensent des milliers de francs pour acheter des gravures anciennes; pour les moins fortunés, de nouvelles éditions sont en vente au musée pour des prix plus modiques. Vous trouverez également là des planches de vieux matériel pédagogique et des images récentes illustrant des événements populaires tels que la fin du mur de Berlin, le championnat du monde de football, le 100e anniversaire du cinéma…
Si vous voulez trouver une pièce rare, vous pouvez également poser des questions autour d’Epinal et certainement bien au-delà; il semble que tout le monde ait au moins une de ces images d’Epinal quelque part dans un grenier. Elles sont aussi répandus que les dessins de Norman Rockwell aux États-Unis.
J’en ai même quelques-unes, anciennes et nouvelles, mais je ne connais pas leur valeur exacte. En fait, je ne les aimais pas spécialement: leurs thèmes et leurs couleurs vives ne m’attiraient pas beaucoup mais elles étainnt et sont encore si uniques et inimitables que maintenant, je ne voudrais pas ne pas en avoir au moins une. Elles font partie de ma culture et je soupçonne même qu’elles ont influencé ce que je fais.
Vous pourrez en juger par vous-même si vous allez sur le site de L’Imagerie.
Sinon, si vous souhaitez visiter le musée, vous devrez vous rendre dans les Vosges. Vous saurez que vous n’êtes pas loin de votre destination lorsque vous verrez les trois personnages en bois: ils sont toujours là; ils font partie du paysage. Et bien que vous sachiez maintenant qui ils sont, je suppose que les enfants se demanderont encore pendant de nombreuses années ce qu’ils sont censés représenter. En fait, j’ai toujours pensé que c’était la raison pour laquelle ils avaient été mis là.
Article publié en anglais et en automne 2000 dans “La lettre d’information du club de graveurs d’Albany”. Traduit et révisé ensuite pour être mis ici.